J’ai reçu ce matin un mail très touchant, que je porte sans plus attendre à votre connaissance.
Monsieur Chabossot,
Je me permets de m’adresser à vous car la douceur de votre regard sur la photo qui orne votre blog me laisse à penser que vous êtes un ami des bêtes.
Je m’appelle Clément Houellebecq. Pour être tout à fait honnête, je m’appelle Clément tout court, mais si j’ai pris la liberté d’accoler à mon modeste prénom le patronyme de mon illustre maître, c'est pour que vous lisiez ma lettre jusqu’au bout (D’expérience, les gens n’accordent que peu d’attention aux propos d’un Clément, surtout si c'est un chien).
Michel m’a acheté dans un chenil de Seine-et-Marne en 1992. J’étais jeune à l’époque, un peu fou, et je me souviens que cette vitalité avait séduit mon futur maître, peu enclin pour sa part aux débordements euphoriques.
A cette époque, Michel était un gentil garçon employé comme informaticien au Ministère de l’agriculture. Le soir, pour se détendre de ses longues et harassantes journées, il écrivait des poèmes qu’il me déclamait ensuite d’une voie monocorde tandis que je regardais “Question pour un champion”. Globalement, je n’avais pas à me plaindre de mon existence; la gamelle était toujours copieusement remplie et j’avais même obtenu la permission de dormir dans le lit de mon maître, collé contre sa peau, certes flasque, mais tiède.
Un jour, Michel entreprit d’écrire un roman. Il attaqua bille en tête, avec à l’esprit une vague trame mettant en scène un lapin pourchassé par un fermier vindicatif. Le résultat lu à haute voix se révéla d’une part affligeant et d’autre part un sérieux obstacle à une écoute attentive de “Questions pour un champion”. Ayant réussi à le convaincre que sa prose ne valait pas un clou, je lui proposais, afin de recouvrer un peu de ma quiétude, de l’épauler dans sa tâche. Pour ne pas le vexer, je suggérais de garder le personnage du lapin, en l’incluant toutefois dans un cadre plus large incluant des personnages en butte aux affres de l’existence. Cela lui convenait, mais un problème se posa bien vite : autant il était intarissable sur les lapins pourchassés par un fermier vindicatif, autant il s’avéra sec face aux personnages en but aux affres de l’existence. Et c'est là précisément que je commis ma plus grosse erreur : je lui proposai d’écrire moi-même l’histoire, qu’il n’aurait plus qu’à signer en échange de quelques caresses sur le flanc et d’une marque supérieure de pâtée pour chien. Marché de dupe s’il en fut !
“Extension du domaine de la lutte” sortit en 1994, et les ventes, plutôt modestes au départ, permirent tout de même à Michel de s’acheter un duffle-coat tout neuf doublé en fourrure synthétique. Ayant pris bien vite goût à l’aisance matérielle - toute relative - que lui apportait cette nouvelle activité, il exigea de moi que je lui écrive un nouveau roman. Le joint de culasse de sa fuego ayant lâché, il était nécessaire, m’expliqua-t-il, que les ventes de ce nouvel opus soit à la hauteur de son ambition, c’est-à-dire acheter une nouvelle voiture, avec radio cassette incorporé, de préférence. Pour atteindre ce but, il me demanda d’inclure dans le roman de longs passages de sexe explicite, procédé contre lequel je m’insurgeai immédiatement. Après trois longs jours enfermé dans la salle de bain sans pâtée ni eau, j’acceptai finalement et me mis au travail. Michel tenait absolument à ce que l'histoire parle de deux frères (c’est un fan d’Igor et Grischka Bogdanoff), pour le reste j’avais carte blanche.
Je ne m’étendrai pas plus, vous connaissez le destin des “particules élémentaires”. Avec le succès de ce deuxième roman, mon sort était scellé. Je suis depuis l’esclave littéraire de Michel. Pour "la Carte et le territoire", j'ai fait des semaines de 50 heures, mes coussinets étaient en sang à force de taper sur le clavier et vous savez quoi ? Lorsqu’il a eu le Goncourt, cet ingrat ne m’a même pas rapporté un doggy-bag de chez Drouant !
C’est donc une bouteille que je jette à la mer en écrivant ce mail : faites passer la nouvelle, Monsieur Chabossot ! Sous ses airs d’Alain Bougrain Dubourg sous tranxène, Michel Houellebecq n’a que mépris pour les animaux. Pire, il les exploite pour son confort personnel (il possède également une perruche, Nini, qu’il oblige à chanter du soir au matin).
Qu’on vienne me libérer ! Je n’en peux plus !
Clément H
Ps : c’est également moi qui ai écrit “Ennemis publics”, la correspondance Lévy-Houllebecq, la partie de BHL étant assurée par un setter irlandais du nom de Gaston.
« Si je n’ai pas le Goncourt, je te jette par-dessus le balcon »