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Néanmoins, je laisse les textes qui ont été précédemment envoyés afin qu'ils puissent toujours être lus.
Le dealer émet un rire dément et silencieux, et s’enfuit dans le parc. Sa silhouette noire se perd déjà entre les arbres des grandes allées sombres, que les réverbères fracassés au sol n’éclairent plus. Johnny souffle de soulagement. Il pensera à descendre avec son flingue la prochaine fois. Il se trouvera aussi un autre dealer ; ce pauvre paumé avait vraiment l’air au bord de la rupture. Avant de remonter dans sa piaule, Johnny se retourne et contemple le désespoir étalé devant lui. Ici, dans les ghettos, la misère coule des murs et déborde des poubelles. Les murs de briques ne sont plus rouges ; l’air pollué les a noircis. Parfois, là où la couche de crasse a été grattée, le rouge sang d’origine réapparaît en taches diffuses ; ou bien est-ce réellement du sang ? Les véhicules n’empruntent plus les chaussées défoncées. Depuis les émeutes au début de la Crise, les forces de l’ordre ont abandonné ces quartiers. La violence est à la hauteur du désespoir de tous les fous qui se terrent ici. Ici, même les immeubles meurent, victime de délabrement ; ils s’effondrent ou brûlent, et leurs carcasses s’étalent alors dans les rues, et les poutres, le métal et les pierres enchevêtrés serviront de tombe aux squatteurs malchanceux. Ici, les hommes ne sont plus que des rats. Johnny pousse un soupir et se décide à remonter.
Dedans, ce n’est pas forcément mieux que dehors, mais au moins c’est chez lui. Le hall d’entrée abrite les boites aux lettres défoncées qui ne reçoivent plus de courrier depuis longtemps. Au fond du hall glauque, la cage d’ascenseur est un trou béant. Johnny habite au sixième. Il se sent mal à l’aise. La misère l’agresse plus qu’à l’accoutumée. Une crise d’angoisse, signe que son organisme utilise pour lui réclamer la drogue. A chaque pallier les détritus s’amoncellent. La tapisserie humide et jaunie se décolle des murs en grands rouleaux. Si ça ne tenait qu’à lui, il arrêterait de prendre cette merde. Mais son corps l’exige, chaque fois plus violemment. A cause de ces pilules, il n’est plus maître dans son propre corps. Enfin, Johnny ouvre un à un les sept verrous de sa porte. Cette fois, il veut tenir. Encore un peu. Il se barricade dans son studio, et jette le sachet qu’il serrait dans sa main sur son lit. Le désordre et l’odeur de renfermé lui donnent la nausée. Johnny se précipite à la fenêtre, l’ouvre et vomit dans la rue. Il se rince au lavabo. L’eau fraîche sur son visage lui fait retrouver ses esprits.
Sa batterie est là, au pied de son lit. Sa guitare électrique est posée contre le mur. Johnny aime la musique ; il était musicien il y a quelques années encore. Il hurlait son dégoût et son mépris du système ; les rythmes déments de sa batterie ou les riffs puissants de sa guitare étaient son exutoire. Aujourd’hui les instruments se sont tus. Johnny ne crie plus qu’après son dealer, et sa colère et sa haine ne sortent plus. Elles sédimentent au fond de son âme. Johnny brûle et se consume par le feu de sa propre colère. Il se détruit parce qu’il n’a pu détruire le système, et parce que le système rechigne même à l’écraser. Ce soir, Johnny veut tenir. Il ne doit pas penser à la sensation de manque qui le gagne. La musique va l’aider. La batterie commence à résonner dans l’immeuble mal insonorisé. Johnny joue faux mais il joue. Il retrouve des gestes d’une passion qu’il croyait éteinte. Ses rythmes d’autrefois. Quelque chose pourtant ne va pas. Les sons frappent et résonnent dans son crâne. Un bruit sourd revient fréquemment. Quelqu’un hurle. Quelqu’un tambourine à sa porte. Encore rempli de sa musique, Johnny regarde à travers le judas. Son voisin du dessus. Ouvrir la porte. La lame pointée sur lui…les yeux injectés de sang de l’homme.
« …pas le soir ! …journée pourrie...Vraiment pas ! »
Les hurlements ; Johnny commence à comprendre.
« Tu comprends quand on te parle connard! J’te surine si tu continues ! »
Le couteau s’agite à quelques centimètres de sa figure. Cet homme n’aime pas sa musique. Johnny réfléchit ; son automatique est posé sur sa table de nuit, et il n’est même pas chargé. Mieux vaut arrêter de jouer. De toutes façons, il n’a pas envie de tuer quelqu’un ce soir. L’homme remonte chez lui en maugréant.
« Pff…drogués à la con… »
Problèmes d’os
Martial était content. C’était la première fois qu’il voyageait à côté d’une fille aussi belle. En général, ça le mettait mal à l’aise, car il ne se trouvait pas très mignon, ce que les femmes lui rendaient bien. Il n’était pas moche, non, mais il ne se souvenait pas d’avoir été un jour complimenté sur son physique. Il était plutôt passe-partout, et à juste titre, il ne s’était jamais fait siffler dans la rue. Quand une femme l’abordait c’était le plus souvent pour lui demander le nom de l’un des amis qui l’accompagnaient, lors de ses nombreuses sorties dans les bars d’étudiants. Ca lui allait bien comme ça, même si parfois, la compagnie d’une femme lui manquait.
Quelle chance qu’aujourd’hui il n’y ait plus d’autre place dans ce wagon. Sinon jamais il n’aurait osé s’asseoir près d’elle. Lorsqu’elle engagea la conversation, et qu’ils firent un peu connaissance, il n’en revint pas de l’aubaine. Et en même temps, il se sentait piégé. Maintenant, il serait bien obligé de lui parler, et de ne pas être trop ridicule. Il lui sourit, essayant de ne pas paraître trop crispé.
A 17h48, le train s’ébranla.
Hélène fut contente de trouver un homme attentif. Cela faisait longtemps que Julien ne s’intéressait plus vraiment à elle ni à ses projets. Elle avait besoin qu’on l’écoute. L’échéance approchait, et elle sentait la tension monter. La jeune trentenaire parlait de ses prochains examens qui lui ouvriraient les portes d’une promotion. Enfin elle pourrait faire quelque chose de plus intéressant que des recherches dans la bibliothèque pour les dossiers de son supérieur. Ce n’était pas qu’elle n’aimait plus son travail actuel, mais elle avait besoin de quelque chose de plus épanouissant, de plus stimulant. Elle voulait avoir la responsabilité de ses propres clients, et montrer à Julien ce dont elle était capable, espérant ainsi raviver quelque peu l’intérêt de son mari. Elle se sentait parfois comme une étoile qu’il avait éteinte. Mais ça, elle se garda bien de le dire à son compagnon de voyage, tout comme elle ne chercha pas à masquer son alliance, qu’elle faisait tourner autour de son doigt.
Martial l’écoutait.
Il n’avait rien d’autre à faire dans ce train.
De tout façon, il ne savait pas quoi dire. Il était toujours un peu emprunté en présence des femmes, et les laissait généralement diriger la conversation, plutôt que de s’acharner à lutter contre le silence en cherchant ce qu’il pourrait bien leur dire. Et souvent, plus le silence s’installait, moins il ne parvenait à le briser. Heureusement, celle-ci parlait. Il regardait sa bouche, et le simple mouvement de ses lèvres était plaisant.
Hélène s’attendrissait des attentions de cet étudiant maladroit, et elle accepta avec plaisir quand, au passage du bar roulant, il lui offrit un Coca light. Elle riait sans trop se forcer à ses petites plaisanteries, et s’amusait de son air un peu gauche.
Elle n’ avait rien d’autre à faire dans ce train.
Martial trouvait qu’il avait de la chance. Ce voyage qui devait être ennuyeux devenait finalement des plus agréables en compagnie de cette jolie brune, au sourire enjôleur. Et Martial n’était finalement pas si mal à l’aise.
Hélène se sentait bien. Elle se laissait bercer par le roulis régulier du wagon, tout en appréciant l’agréable compagnie de cet homme timide, mais prévenant et attentif.
Elle ne savait pas encore que, dans 58 minutes exactement, il oserait l’inviter à prendre un verre à la gare. Lui non plus ne le savait pas encore. Ce serait au buffet de la gare. « Juste un café, d’accord ? C’est quand même plus classe qu’un soda en cannette quand on veut offrir un verre à une charmante jeune femme ». Ni qu’elle accepterait avec plaisir. Ils parleraient peu, se regarderaient, échangeant des sourires gênés au son des annonces diffusées dans le hall d’arrivée.
Il ne savait pas encore que dans 2h23 il serait allongé dans une des chambres de l’hôtel en face de la gare, et qu’elle le chevaucherait, en espérant qu’il ne jouirait pas trop vite.
Elle ne savait pas encore, et ne saurait jamais, que Martial ne profiterait pas de ce moment, concentré qu’il serait à essayer de se retenir, en fixant dans la pénombre les motifs en losange des rideaux élimés. Ca faisait si longtemps. Depuis cette fête de fin d’année chez Serge, après laquelle il avait fini complètement ivre chez cette fille, une étudiante en chimie dont il n’avait jamais su le prénom, et qui était aussi saoule que lui.
En regardant les mains fines de la jeune femme qui jouaient maintenant avec la canette vide, il ne savait pas encore que Hélène parviendrait à jouir, juste avant lui, sans qu’il le sache, trop occupé à contrôler son plaisir, se focalisant sur les clignotements fragiles du « G » mourant de l’enseigne lumineuse, juste derrière les rideaux.
Elle ne savait pas encore combien elle se sentirait mal en quittant la chambre d’hôtel, ni ne s’attendait aux larmes de honte et de tristesse qu’elle regarderait couler sur ses joues dans le miroir de l’ascenseur, à peine 2h46 plus tard, tout en essayant, de ses mains tremblantes, de s’allumer une cigarette.
Martial ne savait pas qu’il aurait de la peine à s’endormir. Ni que le lendemain, il serait persuadé d’avoir rêvé, lorsqu’il se réveillerait seul dans cette chambre bon marché à la décoration vétuste.
Aucun d’eux ne savait qu’ils ne se reverraient jamais, ni ne chercheraient à se retrouver.
Elle ignorait qu’elle devrait trouver mille et un stratagèmes pour se refuser à son mari le temps de faire le test. Il ne faudrait pas qu’en plus, il soit lui aussi touché. Et comment pouvait-elle imaginer combien il serait difficile de lui cacher ses nausées avant d’avorter quelques semaines plus tard, après des nuits et des nuits d’insomnie, et des examens ratés...
Elle ne pourrait quand même pas tout dire à Julien. Elle l’aimait.
Il était maintenant 20h08. Le train entrait en gare.
Et Martial aidait Hélène à descendre sa valise du compartiment à bagage…